Ezechiele ouvrit la porte de son appartement, sa guitare sur le dos, et se glissa dans les couloirs en s'efforçant de faire le moins de bruit possible. Faudrait pas réveiller quelqu'un à cette heure. La maladresse n'aidait généralement pas à réussir sans difficulté chacune de ses escapades nocturnes. Passant devant les appartements, il grimpa tous les étages jusqu'à atteindre le toit, et s'assit sur le rebord, le regard dans la vide. Il n'avait pas fait de détour devant les pharmacies pour regarder d'un oeil avide le placard où étaient rangées les médicaments. Il progressait dans le contrôle de lui-même... Sauf qu'il se sentait fébrile. La dépendance ne se guérissait pas si facilement qu'on essayait de le faire croire... D'ici, personne ne pouvait l'entendre, sauf si quelqu'un se baladait sur la fenêtre de l'étage du dessous. Un guitare acoustique n'avait pas assez de portée.

Lentement, Ezechiele sortit la guitare de sa house et commença à jouer les premiers airs qu'il avait appris, puis ceux qu'il jouait dans son groupe avant qu'il ne doive le dissoudre à cause de ses problèmes. Il joua longtemps, jusqu'à sentir que la peau de ses doigts faiblissait, encore. Il lui arrivait souvent de jouer jusqu'à ce que ses doigts en saignent, c'était même l'un des seuls moyens dont il disposait pour penser à autre chose qu'au manque, à la mélancolie et à la lassitude. Quand il sentit des picotements au niveau de ses doigts, signe que ses vieilles plaies allaient se rouvrir, il rangea son instrument et se redressa, descendant en silence l'escalier qui le ramenait à l'intérieur. Il lui fallait un peu de temps pour reprendre contact avec le monde, la musique avait ce don de lui faire oublier que la réalité existait. Encore un peu dans les vapes, il rejoignit sa chambre, s'assit sur son lit...
...et écrasa la jeune fille qui y dormait. Se redressant brusquement, il n'eut aucun mal à reconnaître la chevelure rose qui flottait sur l'oreiller. Il recula lentement pour faire le moins de bruit possible... puis s'enfuit en courant dans les couloirs. Merde, cours si tu tiens encore un peu à tes jambes. Pourvu qu'elle ne me rattrape pas...

La journée avait commencé de manière profondément mauvaise. Aspergée de jus de fruit à cause d'un imbécile qui avait bousculé une pauvre fille dans la cafétéria, elle avait fini comme d'habitude par se mettre dans une colère noire, avait violemment frappé le garçon, s'était pris une table dans la nuque après qu'il l'ait attrapée par les chevilles... Évanouissement, accumulation de personne voulant profiter de son inconscience pour la frapper, encore cet abruti d'Alex Melston qui avait dirigé un groupe de "révoltés anti-Lillly". Elle se souvenait vaguement que la fille l'avait éloignée pour la conduire à l'infirmerie.
Elle s'était au final couchée tôt après être rentrée, ce qui était somme toute assez rare. Elle s'était endormie sans peine, et avait à peine pris le temps de se doucher avant de s'écrouler sur son lit. Pour un fois qu'elle réussissait à dormir...

Sauf que rien ne se passait jamais comme prévu. Jamais. Et son sommeil si agréable et mérité coupa court, interrompu à deux heures du matin par... un abruti qui était venu s'asseoir sur elle ! Sortant assez rapidement du brouillard qui essayait d'envahir son crâne, elle se leva sans prendre le temps d'enfiler un pantalon par-dessus son mini-short et sortit de son appartement, apercevant une silhouette qui filait au coin d'un couloir. Elle le reconnut sans peine, parce qu'elle n'avait vu ce genre de dégaine que deux fois dans sa vie, et sur une seule et même personne.

-Toi.....

Serrant les dents, elle s'élança à sa suite, courant sur plusieurs mètres derrière lui, pieds nus, priant pour ne croiser personne d'autre dans le couloir. Pas dans cette tenue... Elle finit par l'attraper par le col pour le ramener violemment vers elle.

-Ezechiele.... Fera-t-on un jour quelque chose de toi ?

On sentait dans sa voix le mélange de colère et d'ironie. Elle ne l'avait vu que deux fois depuis son arrivée et elle le trouvait déjà exaspérant. Elle ignora totalement la douleur lancinante dans sa nuque pour le fixer droit dans les yeux, de son regard tranchant comme les lames qu'il collectionnait. Dans sa tête se succédaient une dizaine d'idées de violence, qu'elle tenta de repousser. Self-control, self-control...

Elle lui courait après... Elle lui courait après ! Il commença à s'angoisser et sa course ralentit inéluctablement, à moins que ça ne soit la peur qui lui donne cette impression de faire du surplace, comme dans ces cauchemars où l'on est poursuivi et où on se réveille en sueur dès qu'on se fait attraper. Sauf qu'il ne se réveilla pas quand les doigts de Lilly agrippèrent sa veste. il se dégagea lentement pour se retourner, dévisageant celle qui avait toujours trouvée magnifique. Il loucha sur son petit haut moulant et son mini-short noirs, et bénit la capacité de son visage à ne jamais pouvoir rougir. Ce n'était pas vraiment le moment d'admirer le corps d'une fille, surtout celle-là. Mais quelle idée de sortir habillée comme ça, aussi. «Lilly, je suis désolé... je suis d'une maladresse...»

Son regret était sincère, mais il savait que ça ne valait rien pour elle. Elle se fichait totalement des excuses, non ? Ezechiele crispa les doigts sur le couteau dans sa poche, prêt à le sortir pour se défendre. C'était le seul moyen à sa connaissance de lutter contre elle. Sauf que s'il devait se battre, sa housse l'encombrerai et il ne pouvait pas s'en débarrasser. Détacher son attention de Lilly, c'était risquer qu'elle en profite pour le frapper. Résister à la force et aux arts martiaux de Lilly sans pouvoir se mouvoir librement ? Quelqu'un en était-il vraiment capable ?

Sans la lâcher des yeux, et sans trop s'attarder sur les formes que laissait deviner sa tenue, il fit glisser la bretelle qui maintenait sa guitare sur son dos. Il n'accrochait jamais les deux, ce qui pouvait lui sauver au moins un bras dans une situation pareille. Ou, à la rigueur, sauver au moins sa guitare. L'instrument se posa doucement au sol et il le laissa par terre, hésitant à s'en séparer. Il ne supporterait pas de la perdre... Ezechiele se décala légèrement sur le côté, histoire de ne pas se prendre les pieds dedans si elle le frappait. Non, quand elle le frapperait serait plus juste. Allez Ezechiele, observe-la. Si tu te plantes, t'es foutu... Elle te déteste suffisamment pour te briser une côte ou deux.

C'était rageant, et le mot était plus qu'approprié. Lilly sentait les regards presque avides qu'il posait sur son corps, même s'il s'efforçait de les cacher. Et ça la mettait encore plus sur les nerfs. Ce mec était irrécupérable... Peut-être aurait-elle dû, effectivement, enfiler au moins un jean par-dessus son short. Sauf que si elle l'avait fait, il l'aurait sûrement semée. Et elle n'aurait pas pu défouler ses nerfs sur lui, ce qui était assez mauvais de manière générale.
Il s'excusait ? Qu'en avait-elle à faire de ses excuses ? On n'écrase pas les gens dans leur sommeil, la maladresse n'a rien à voir là-dedans. Simple question d'intelligence.

-Maladresse ? Le mot est très faible...

Si elle s'efforçait de sourire, de façon plus ou moins réaliste, le tremblement de ses poings serrés témoignait qu'elle n'était absolument pas d'humeur à ça, et que la sincérité de son sourire tendait plutôt vers le moins que vers le plus. Elle savait qu'il cachait une arme, elle y avait même eu affaire plus d'une fois, et elle était encore affaiblie du coup qu'elle s'était pris derrière la tête plut tôt dans la journée. Sauf qu'il l'énervait... Entre son regard trop inquisiteur et ses excuses minables, la seule pensée qui venait à l'esprit de la jeune fille était de l'assommer purement et simplement. Ce fut plus rapide qu'un réflexe.

Son poing partit tout seul en direction de la mâchoire d'Ezechiele. Son corps était encore plus rapide que son esprit, comme d'habitude. Craignant qu'il n'esquive, son deuxième point partit pour le frapper à l'estomac. Self-control... Ces mots n'avait pour le moment plus grand sens dans le brouillard de son esprit.

Il le savait... Il avait vu le coup venir de loin, de très loin même. Lilly qui ne frappait pas quelqu'un qui l'avait énervée ? Impossible ! Il était donc prêt à se défendre, à l’affût du moindre mouvement. Il comprit assez vite qu'il n'était pas assez rapide pour esquiver le poing qui filait vers son visage. Au risque de lui faire mal et de la mettre bien plus en colère, il arrêta le coup avec sa lame, qui s'enfonça entre ses doigts avec une facilité déconcertante, et sentit du sang couler le long de ses doigts hors de la profonde entaille. Elle risquait de le tuer pour ça.
Le choc au creux de son ventre toucha sa cible sans problème, tant il était concentré sur l'autre main, et le fit basculer en arrière, soufflé comme une brindille. Il se jeta en rampant sur son couteau avant même de penser à la douleur. Hors de question que tu me prives de ma seule arme, ma petite Lilly, je tiens encore à ma survie.

Ezechiele recula, restant au sol, puis se releva d'un mouvement de jambe, couteau en main, la lame vers le bas de sa main. Tant qu'il la gardait, il avait un petit espoir de ressortir en un seul morceau. Avec sa constitution, se battre contre Lilly dans l'état où elle était sans arme était suicidaire, lui résister avec une arme était extrêmement dangereux. Mais il risquait bien trop de choses, maintenant qu'il l'avait blessée, pour ne pas tenter de la retenir le temps de trouver un moyen de fuir. La blesser, c'était un coup à prier pour sa survie. C'était d'ailleurs exactement ce qu'il était en train de faire. Il est peu recommander de titiller un requin si l'on tient à la vie. Surtout ce requin-là, et surtout avec une relation pareille avec le requin en question. Mais comment je fais pour me retrouver toujours dans des situations pareilles ?...

Tandis qu'il se trainait par terre, Lilly fixait le sang sur sa main avec un regard ébahi. Blessée, et profondément en plus de ça. Verticale, la blessure était marquée entre deux doigts, tranchée jusqu'au niveau du milieu des os. Une rage brûlant s'alluma dans son regard. Il avait osé la frapper. Ce ridicule petit vermisseau chétif l'avait frappée, elle, jusqu'au sang... Et elle avait mal. Trop mal pour laisser passer ça. Sa rage incontrôlée laissa place à une colère froide, méthodique, une violence aussi bien intérieure qu'extérieure qui lui permit de contrôler sa pulsion de destruction. Elle se contrôlait, sauf que son contrôle n'était pas moins dangereux que son absence de contrôle.
Avant qu'il ne se relève, Lilly vint le saisir à la gorge, le soulevant de terre en lui jetant un regard flamboyant de colère, serrant les doigts. L'étouffer... C'état une manière comme une autre de le faire taire, pas vrai ? Ses doigts se serrèrent légèrement et elle planta son regard glacial dans le sien.

-Tu sais que tu va me payer ça ?

Sa voix tremblait de rage tandis qu'elle resserrait de plus en plus les doigts. Qu'il meure ? Ça n'était absolument plus son problème. Elle voulut juste lui faire regretter, le frapper, l'éclater contre un mur ou une fenêtre, n'importe quoi. Le balancer sur une fenêtre, tiens, bonne idée. Peut-être qu'elle pourrait en profiter pour lui retirer ce foutu couteau qui commençait à sérieusement lui taper sur les nerfs. Elle le sentit qui peinait à respirer. Il tentait de se détacher de son emprise ? S'il en avait le temps, il échapperait peut-être à sa vengeance l'espace de quelques secondes... Dans le cas contraire, il était bon pour se prendre une fenêtre.

Quand il capta le regard de Lilly, Ezechiele frémit. Elle était plus que furieuse... Il crispa les doigts sur son canif, reculant tandis qu'elle s'avançait. La main fit pression sur sa gorge, et il grimaça. Sa respiration se fit d'abord saccadée puis faible, il battait des pieds dans le vide en tirant sur la main de la jeune fille pour libérer sa gorge.

Malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à se libérer de l'emprise de Lilly, et commença rapidement à manquer d'air. Quand elle l'expédia dans une fenêtre, faisant voler son arme bien plus loin, il hésita entre la douleur du choc et le soulagement de pouvoir enfin respirer. Avec une grimace, il retira les morceaux de verre dans son bras en espérant que le bruit de la fenêtre qui se brisait réveille quelqu'un, n'importe qui, tant qu'il pouvait échapper à cette folle.

Il se saisit d'un fragment en guise d'arme et s'avança lentement pour essayer de récupérer son canif, boitillant à cause d'un bout de verre profondément enfoncé dans sa cuisse. Pourquoi personne ne vient ? Une vitre qui se brise violemment dans un bâtiment à une heure pareille, ça réveille forcément quelqu'un ! Ça ne peut pas passer inaperçu quand même !
Il commença à s'angoisser, sentant que le verre commençait déjà à marquer de petites traces sanglantes dans sa main. Si personne ne venait, combien de chances lui restait-il de finir en un seul morceau et en bon état ? Il se retint de crisper les doigts sur son arme. Déconne pas, c'est pas un couteau, si tu serres tu te coupes... Gardant les yeux fixés sur Lilly, il parvint à ramasser son couteau et lança immédiatement la lame de verre loin de lui. Comment on se sort d'une situation pareille ?

Le bruit du carreau qui volait en éclat la figea sur place. Elle aurait peut-être dû choisir le mur, finalement... Habillée comme ça, elle n'avait pas tellement envie de voir débarquer tout l'immeuble... Elle se mit à guetter le moindre mouvement, le moindre bruit de pas, prête à détaler, et ne vit pas Ezechiele récupérer son arme. Ou plutôt, elle s'en rendit compte trop tard. Le voyant réarmé, elle se jeta vers les débris de la fenêtre pour en tirer deux longs fragments ciselés.

-Je vais te faire la peau !

Elle le haïssait. Deux fois ils s'étaient rencontrés, deux fois elle avait failli faire connaissance avec son couteau. Mais cette fois c'était pire, celle fois la lame l'avait touchée. Il l'avait blessé. Sa rage, sa haine contre lui n'était que décuplée depuis le début de la nuit. Elle voulait presque sa mort... Quoique dans son état d'esprit actuel, même pas sûr qu'on puisse y caser un "presque".
Saisissant les morceaux de verre à pleine main, sans s'apercevoir ou se préoccuper des longues traînées sanglantes marquées dans ses paumes et sur le fil de ses doigts, alors qu'elle savait qu'ils ne s'effaceraient pas. Elle s'en fichait. Elle s'en fichait même totalement. Pour le moment, elle avait juste envie de lui faire mal. Sa colère n'était pas près de retomber, elle était plus que visible dans le regard rouge et glacial qu'elle lui lançait, et ses mains trempées de sang n'arrangeaient pas l'allure générale.

-Je vais t'arracher ce regard... Ce putain de regard prétentieux...

Elle s'avança lentement, les poings serrés. Une colère froide la faisait serrer les dents, résistant à la douleur de ses mains qui n'allait sans doute pas se priver de se rappeler à elle une fois qu'elle serait revenue dans son état normal.

Cette fille était folle. Totalement folle. Elle s'acharnait encore sur lui après l'avoir à moitié écharpé, et il observa les longues lames de verre qu'elle avait dans les mains. Après réflexion, il en ramassa une qui traînait près de lui. Sait-on jamais. Tu comptes... réellement me tuer, Lilly?

Quand elle l'affirma clairement, il hésita entre s'enfuir en courant et se mettre à hurler. Il opta pour un simple regard qui se voulait le plus sarcastique possible, avec le sourire assorti. Ne montre pas ta peur, ne montre pas ta peur. La provoquer n'était peut-être pas une meilleure idée, mais c'était tout ce qu'il avait en stock. Il s'abstint cependant du moindre commentaire. N'abuse pas trop, quand même.

Les armes dans les mains, Ezechiele retira avec un grimace le long morceau de verre qui avait transpercé sa cuisse. La douleur était insoutenable... Il perdait beaucoup trop de sang, qui traçait une large marque rouge sur ses vêtements. Il le sentait couler et il ferma les yeux, serrant les dents pour faire partir une partie de la douleur. Folle et dangereuse. Elle aurait parfaitement sa place dans un asile de fous, pas dans un appartement normal. Faire se côtoyer des timbrés comme elle et des gens sans impact sur leur entourage comme moi est quand même malsain... C'est un coup à risque la peau des habitants. C'était d'ailleurs ce qu'il était en train de faire, risquer sa vie.


Il frémit à sa menace. Elle était tout à fait capable de le faire. Malgré la douleur de sa jambe, il parvint à se redresser et à pointer son arme vers elle en murmurant « Tu es toujours aussi folle et cette blessure me fait mal... » il soupira « Ce n'est pas plutôt à moi de me mettre en colère ? ». Serrant les poings, il lança son morceau de verre dans l'espoir de la blesser au bras puis avança en boitillant vers elle pour la frapper directement avec son couteau.

Tentant d'éviter le fragment de fenêtre qui allait toucher son épaule, Lilly vacilla légèrement sur le côté. Sa blessure derrière la tête lui faisait encore mal, et ça n'aidait pas franchement à garder l'équilibre. Quand elle se fut rétablie, ce fut pour voir Ezechiele se jeter sur elle arme au poing. Encore un peu étourdie par sa perte d'équilibre, et par manque de timing, elle ne parvint pas à l'esquiver et la lame se planta dans son bras, peu profondément mais suffisamment pour lui arracher une grimace. Elle saisit le poignet du jeune homme avant qu'il ne recule, et le tordit pour l'immobiliser derrière son dos.

-A toi de te mettre en colère ? siffla-t-elle. Je te signale que ce n'est pas toi qui t'es fait écraser au beau milieu de la nuit par un abruti congénital compulsif.

Elle fulminait. Elle lui aurait bien cassé le poignet pour continuer sur sa lancée, mais elle entendit des bruits de pas dans le couloir et prit peur, le lâchant immédiatement pour partir en courant. Hors de question qu'on la voit comme ça
Renonçant à aller dans son appartement _ elle ne voulait pas effrayer ses colocs _ elle courut jusqu'à une pièce vide et se dissimula dans un coin sombre. S'ils vérifiaient cet endroit, elle était cuite mais si elle retournait chez elle, un de ses colocs risquait de vouloir la conduire à l'infirmerie, et elle se voyait mal expliquer ses blessures sans avouer que c'était elle qui avait réduit la fenêtre en morceaux. Elle n'avait pas vraiment le choix...

Ezechiele dut se mordre profondément la joue pour ne pas laisser échapper le moindre cri ou gémissement. Elle lui faisait mal. Très mal. De constitution fragile, il se surprit à prier à prier pour que son poignet en ressorte intact. Si elle restait comme ça trop longtemps, elle risquait de lui froisser un muscle, ou de lui bousiller un tendon. Heureusement, elle le lâcha... pour s'enfuir en courant. Passé l'instant de surprise, il entendit à son tour les bruits de course dans sa direction. Après un bref regard vers l'origine des pas, il la suivit en boitillant puis, voyant qu'elle n'allait pas dans son appartement, décida de ne pas la laisser se faire prendre à cause de lui. Ne serait-ce que parce qu'il tenait encore un minimum à la vie...

Il entra à sa suite dans l'espèce de cagibi _ mais quelle idée d'aller se planquer dans un cagibi_ et la releva rapidement, entendant les pas tout proches. « Tu vas encore plus vouloir me tuer... » dit-il en l'appuyant en douceur contre le mur. Surtout, ne pas avoir l'air de l'agresser, elle serait foutue de te casser un bras. Il glissa une main dans le bas de son dos et posa l'autre derrière son cou, ramenant son visage vers lui. « Joue le jeu, et on a une chance d'échapper à l'amende » chuchota-t-il alors que leurs visages s'effleuraient Puis il l'embrassa, dans un mélange de baiser de cinéma et de baiser passionné. On se sort des ennuis comme on peut. Et pour l'avoir testé dans une ancienne école, il savait que cette technique marchait généralement bien... Dans le pire des cas, ça les innocentait au moins pour la fenêtre.

Quand elle vit la porte s'ouvrir, Lilly sentit son angoisse grimper en flèche. Les habitants avaient appelé la police, pour le bruit sans doute. Et ils l'avaient retrouvée, ils allaient voir qu'elle était blessée, faire le lien avec la fenêtre, lui refiler une amende.... Sa respiration reprit un rythme normal quand elle vit que ce n'était qu'Ezechiele, qui l'avait suivie pour une raison quelconque... Oui tiens, pourquoi l'avait-il suivie, au juste ? Elle n'en avait aucune idée, et finalement pas spécialement envie de lui poser la question. Par contre, quand il la mit debout en la soulevant par le poignet, elle se dégagea violemment. Qu'est-ce qu'il comptait faire ? Et comment ça le détester encore plus ? En quoi pourrait-elle le détester encore plus ?

Elle comprit assez vite, le traita mentalement de dégénéré pervers, mais la proximité des policiers la dissuada de se débattre. Échapper à l'amende ? Mouais, pourquoi pas, après tout ? Au pire des cas, s'ils pensaient qu'elle était ici, elle ne risquait pas d'être punie pour la fenêtre. Tout le monde sait qu'il est impossible d'être à deux endroits en même temps, surtout aussi distants... Voyant la poignée tourner, elle se décida très vite. Elle fit descendre la bretelle droite de son débardeur, glissa une main sur la cuisse d'Ezechiele, l'autre sous son tee-shirt au niveau de sa hanche et le colla contre elle.

Quand la porte s'ouvrit, les quelques habitants sortis de leurs appartements qui avaient suivi les flics laissèrent échapper des commentaires surpris. Aucun doute, cette histoire allait les poursuivre longtemps, surtout parmi ceux qui étaient dans leur fac, la détestaient et se feraient donc un plaisir de raconter ce genre de rumeurs. On se contenta de leur poser des questions à propos du bruit et elle démentit avec une franchise déroutante. Un peu gênés de la situation, les hommes acquiescèrent puis les laissèrent partir. Sans autre conséquence qu'un ragot qui persisterait pendant un long, très long moment.

Avant l'entrée des "poursuivants", Ezechiele constata deux choses : premièrement, que le parfum et le contact de Lilly étaient assez agréables ; deuxièmement, que son baiser devenait de moins en moins artificiel. Aussi, l'arrivée des policiers fut-elle la parfaite excuse pour s'écarter presque brusquement de la jeune fille. Ok, ton idée n'était peut-être pas si brillante si l'on considère le fait que tu as toujours été attiré par Lilly... Bien joué, vraiment. Sans doute que s'ils n'étaient pas là, Ezechiele aurait essayé d'aller plus loin. Sauf que s'ils n'avaient pas été là, il ne l'aurait sûrement jamais touchée. Il n'avait par contre pas prévu la dizaine d'habitants, dont un certains nombre d'élèves de leur fac qui vivaient ici, qui, en bons moutons, avaient suivi les bergers... C'était tout vu pour la rumeur... Elle allait sûrement détester ça. Lui, ça ne le gênerait pas, loin de là. Il posa les yeux sur les autres, mais il ne dit rien et accepta de retourner dans son appartement, pour quelques minutes au moins.

Dès qu'ils eurent fini d'arpenter les couloirs et de retourner le bâtiment à la recherche de celui qui avait cassé la vitre, Ezechiele quitta une nouvelle fois son appart. C'est en trébuchant un certain nombre de fois qu'il arriva jusqu'à la boîte à pharmacie. Il n'y avait personne... Il se glissa jusqu'aux placards et en sortir un désinfectant et des bandages. C'était techniquement du vol, mais il n'était plus à ça près. Il appliqua du désinfectant sur chaque petite plaie puis une compresse sur la blessure de sa cuisse, l'entourant d'un bandage. Il lui faudrait cacher toutes ses plaies pour que personne ne sache que c'était lui qui avait cassé la fenêtre. Lui et Lilly... Enfin surtout elle, en fait. Si elle finissait en garde-à-vue à cause de lui, elle le tuerait. Et il n'était pas spécialement adepte du rôle de victime en sursis.